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Iona la Maudite – Telle est la vie des hommes…
Et puis l’Automne avait pointé le bout de son nez… Les canots avaient quitté les corps-morts et rejoint Naod An Neac’h pour y sommeiller tout l’hiver. Les hommes forts se serraient au comptoir du Koz Kanol. Là ils jasaient, ils placotaient, ils roulaient les gitanes et enfilaient les p’tits jaunes pour se délier la langue. Dans l’odeur des fumées et des embruns séchés qui se mélangeaient, ça chaussait les sabots à bascule, ça repassait l’antan, ça refaisait l’autrefois, ça recousait les histoires des bateaux et des bonshommes…. Entre deux parties de dominos, ça jetait même un œil dans l’avenir.
-« Dites, vous vous rappelez quand Lucas il avait mouillé le gars des Affaires Maritimes au coaltar ? L’aut’ soulier vernis , il l’avait aligné parce qu’il avait pas de bouée couronne… T’es con toi, je suis tout seul à bord, c’est qui qui va me la lancer ma bouée couronne si je tombe à l’eau, il lui avait dit ? »
-« Ah ça Lucas c’était un chef, il avais ses secrets à lui pour couper ses caoutchoucs. Qu’est-ce qu’il avait mis sur la gueule à Jean Ramonet quand l’aut’ lui en avait piqué une poignée pour voir comment y faisait… »
-« Et la salle de bal à l’Hotel Armor, les commères elles en pouvaient plus au lavoir de se raconter qui se frottait avec qui… Même les curés ils y allaient à coups d’excommunication. La Olive, elle savait y faire avec son commerce… »
-« Dis donc, Olive, c’était bien la femme à Yves Abjean ? C’lui là qu’avait fait construire la Iona dans les années 1920 ? »
-« Mais t’es couillon toi ! Ah ça t’es pas d’ici ça se voit… Les gars de Sibiril, y savent pas qu’à Moguériec y’a des mots qu’on prononce pas ! J’fais comme si j’avais rien entendu, t’avises pas de remettre ça… »
-« Ben moi j’causais pour causer c’est tout… »
– » Oui, ben va becqueter tes artichauts de paysan et laisse-nous avec nos bigorneaux et nos deuils et nous porte pas la poisse avec des histoires qu’on dit pas… »
On était rendu à l’hiver d’un coup…
Iona la Maudite !
Il est des histoires parfois difficiles à raconter…
Parce qu’elles sont tristes tout simplement, parce qu’elles ont laissé sur la dune des femmes épleurées,
des enfants orphelins et meurtris…
Parce que tout le monde a grandi avec, avec le vide, avec le souvenir…
Il est des histoires parfois difficiles à raconter…
Parce que ce sont des histoires de naufrages, des histoires de nuages et d’ouragans qui arrêtent pas d’souffler…
Des histoires d’orages que seul le vent peut faire passer…
L’histoire de la Iona, l’histoire de Jean-Marie, de Mathurin et d’Yves est une de celle-là…
Alors, même si l’vent peut faire peur, c’est lui qu’il faut chanter…
Parce qu’on est un peu de ceux dont on se souvient…
C’est ça l’histoire de la Iona à Moguériec…
« Tu vas pas te marier avec un pêcheur »
Ma mère me disait :
« Tu te maries avec un pêcheur, moi j’ai perdu mes trois frères qui étaient pêcheurs et toi, tu te maries avec un pêcheur encore ! »
Ben je dis :
« C’est c’lui-là que j’ai choisi … »
Mélanie, la mère de Fine Abjean, avait perdu 3 de ses frères en mer : Gabriel en 1909 sur le Saint-Joseph, Jean-Marie et Mathurin en 1922 sur la Iona. Mélanie avait une sœur, Olive, qui fit constuire l’Hotel Armor (Pension Abjean) à Moguériec. Olive était mariée avec Yves Abjean, propriétaire et seul rescapé du naufrage de la Iona. Fine épousa Jean Abjean, « c’lui-là que j’ai choisi ».
Extrait du film de Philippe Le Metter « Un hiver à Moguériec » – 2003 – Témoignage de Joséphine Abjean (Fine)
Un bateau pour voguer dans les espérances
Bénédiction de la Iona (1654) – Lundi 24 Mars 1913
La Dépêche de Brest – 27 Mars 1913
Un nouveau bateau, le plus grand, le mieux aménagé…mais des pêcheurs oubliés par les Pouvoirs Publics : la cale débarcadère n’est toujours pas prolongée ni réhaussée !
La « Confiance en Dieu » (2120) armée en 1924 par Jean-Marie Nédélec et la « Marguerite » (2067) armée en 1928 par Yves Abjean (rescapé du naufrage de la Iona).
Collection Michel Péron
Le Drame – Samedi 22 Avril 1922
S’il faut sombrer, au moins on aura l’élégance de sombrer ensemble…
« La sœur à ma mère, elle a eu deux frères noyés à Brignogan… Il faisait la pêche là-bas. Ils avaient un bateau de 7-8 mètres qui marchait à la voile. J’ai pas trop envie de dire le nom… Ils allaient lever des filets au large de Brignogan. Un jour, il est venu du mauvais temps, ils sont rentrés dans le Port de Brignogan mais la mer était démontée, y’avait des déferlantes. Ils ont voulu rentrer avec la houle et le bateau a chaviré à l’entrée du port devant toutes femmes et le monde qui regardait. Sur deux à bord, il y a eu qu’un sauvé. Jean-Marie et Mathurin y sont restés. Marie, la femme à Jean-Marie, elle devait accoucher le mois d’après (d’un fils prénommé…Jean-Marie). Elle s’est retrouvée sans argent, sans rien. Elle est morte de chagrin après… Mathurin lui, il avait deux enfants tout jeunes, un de 6 ans (Yvonne) et l’autre de 14 mois (Edouard). Eugénie, sa femme, elle avait la santé fragile. J’ai entendu cette histoire là toute mon enfance, dans ma famille ils étaient tous traumatisés avec ça… »
La Dépêche de Brest – 24 Avril 1922
Yves Abjean, propriétaire et patron de la Iona a été sauvé par le Saint-Pol (armé par Mathurin Beganton, oncle des disparus). Jean-Marie et Mathurin n’ont pas été retrouvés.
Ouest-Eclair – 25 Avril 1922
La Dépêche de Brest – 25 Avril 1922
« Roc’h Ar Vran Vras »
La malédiction du « Grand Corbeau »…
C’est sur le Rocher du Grand Corbeau (Roc’h Ar Vran Vras) que vient taper la Iona… Elle reste échouée là…
La solidarité des gens de mer gagne la terre…
La Dépêche de Brest – 30 Avril 1922
Sans argent, sans soutien, de santé précaire, orphelins, misère, honorabilité, bonnes ménagères… L’appel à la solidarité s’organise, toute la région s’émeut de la disparition de Jean-Marie et de Mathurin !
La Dépêche de Brest – 5 Mai 1922
La Dépêche de Brest – 7 Mai 1922
Les lecteurs de La Dépêche de Brest répondent également présents…
La Dépêche de Brest – 18 Mai 1922
La Dépêche de Brest – 25 Mai 1922
Pour que Mimi guérisse…
La Dépêche de Brest – 1er Juin 1922
Un ami des pauvres..
La Dépêche de Brest – 11 Juin 1922
La Dépêche de Brest – 25 Juin 1922
A Sibiril, l’émotion est vive…
La Dépêche de Brest – 20 Novembre 1922
A Sibiril aussi on soutient Eugénie et Marie…
Ecoutez mon histoire…
Ecoutez mon histoire
Vous z’autres qui naviguez
Toujours dans la mémoire
Ayez l’éternité
La Mort peut apparaître
Sans que vous l’attendiez
Avec sa main de traître
elle viendra vous chercher
C’était au mois d’Avril
Pas loin de Brignogan
L’Iona était en péril
Chahutée par un coup de mauvais temps
Une vague assassine
Sur le pont déferlant
Ruina la pauv’ bisquine
Et la vie de ces brav’ gens
C’est quand on est plein d’vie
Quand on est grand et fort
Souvent c’est là qu’on s’dit
Qu’on est bien loin de la Mort
Voyez comme on se trompe
Tout joyeux le midi
Nous voilà dans la tombe
Aux douze coups de minuit
La Dépêche de Brest – 26 Mai 1922
Maudites « Iona » ou la malédiction du Corbeau…
« J’m’en vas te dire un secret ty gars… Un secret qu’est enfoui dans le sable de Moguériec depuis plus de 100 ans… Un secret qu’est dissimulé dans le cœur des gens d’ici, tellement caché qu’on sait plus où il est… Tu le diras haut et fort un jour pour qu’on se rappelle de nous, pour que les cailloux qui ont percé nos canots, ils aient pas le dernier mot à la fin… Ce secret là, on ne le trouve plus que dans les bibliothèques des savants, c’est pas à eux et il faudra leur reprendre… »
Jean-Marie, Mathurin, Yves… Un même équipage, mais deux bateaux, deux « Iona », deux naufrages… Au même endroit, sur le même caillou, à 10 ans d’intervalle…
En 1912, Yves Abjean arme à la pêche un sloop non ponté de 8,35 tonneaux construit au Chantier Keranfors de Roscoff en 1895 et qui porte le nom de « Iona » (703). On se souvient encore à l’époque que Hiek, ce moine irlandais qui a débarqué au 6ème siècle après Jésus-Christ en Baie de Sieck…était originaire de Iona et que son nom signifie « l’homme qui venait de Iona ».
A bord de la Iona…Yves, Mathurin et Jean-Marie, déjà !
Le Drame – Lundi 19 Août 1912
S’il faut sombrer, au moins on aura l’élégance de sombrer ensemble…
La Dépêche de Brest – 21 Août 1912
Le Petit Journal – 22 Août 1912
Le naufrage de la Iona fait la « Une » !
« Roc’h Ar Vran Vian »
La malédiction du « Petit Corbeau »…
Annales du Sauvetage Maritime – 20 Août 1912
Une « Colombe » se cache derrière le « Corbeau » ?
Ma mère me disait :
« Tu te maries avec un pêcheur, moi j’ai perdu mes trois frères qui étaient pêcheurs et toi, tu te maries avec un pêcheur encore ! »
Ben je dis :
« C’est c’lui-là que j’ai choisi … »
Jean-Marie, Mathurin… D’accord ! Mais qui est le 3ème frère disparu en mer dont parle Fine Abjean ? C’est en 1909 qu’il faut chercher pour découvrir un autre naufrage, tout aussi dramatique, celui du « Saint Joseph »…
La « Iona » vole au secours du Saint Joseph – Décembre 1909
La Dépêche de Brest – 15 Décembre 1909
Où l’on découvre un bien triste récit…
La Dépêche de Brest – 15 Décembre 1909
C’est la « Iona » (703) qui repêche René et Yves Tanguy, cousins de Gabriel Béganton… Il faut lire « Ce qui est certain c’est que la Iona, ayant à bord les frères Béganton et Abjean… ». Jean-Marie, Mathurin et Yves se font sauveteurs avant d’être eux-même sauvés en 1912 lors du naufrage de la « Iona » (703).
La Dépêche de Brest – 16 Décembre 1909. En hébreu, Jonas (Yonah – Iona) se traduit par « colombe ». Il y a donc une « colombe » dans le ventre de ce bateau maudit…
Le « Saint-Joseph » (1034) à Trébeurden… Difficile de distinguer sur une photo en noir et blanc la moustache bariolée de bleu-blanc-rouge dont se souviennent les « anciens »…
Le « Saint-Joseph » (1034) à Trébeurden… Difficile de distinguer sur une photo en noir et blanc la moustache bariolée de bleu-blanc-rouge dont se souviennent les « anciens »…
Telle est la vie des hommes…
Telle est la vie des hommes.
Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins.
Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants.
Marcel Pagnol
Le Château de ma Mère
La Pension Abjean
ll était une fois dans le fond de la gamelle de l’histoire…
C’était des géants,
C’était des hommes forts,
C’était des légendes…
Sur le quai…
C’était des dires,
C’était des parlures,
C’était des histoires à rester debout,
Ça réchauffait les maisons,
Ça tenait en haleine les enfants puis les soirs longs…
A bord…
Ils étaient fiers comme des bouts de mâts,
Ils tricotaient des voiles immenses dans des coins de ciel,
Des bateaux qui voguaient sur les espérances,
Qui ouvraient sur du vaste…
Remontant des possibles à ras bord de viviers,
Sur des demains qui se pêchaient encore…
Yves Abjean en 1936
Un grand merci à Jean-Pierre Le Saint pour ses prodigieuses tout autant que précieuses recherches généalogiques et son regard affûté et pertinent…