Décoration marinenoeuds marins & matelotageBretagne, Moguériec

Moguériec ou l’histoire du « Mur de Hiek »

Le « Comptoir de la Fleur de France », c’est d’abord l’histoire de Moguériec…

Moguériec ?
Le pays où quand t’es perdu t’es rendu…

Moguériec ou le « Mur de Hiek » (Moguer Hiek)… Allez-vous le croire ? Perdu dans les méandres de la mémoire de notre banc de sable se cache un moine irlandais qui a débarqué en Baie de Sieck avec ses compagnons au 6ème siècle après Jésus-Christ…

Il s’appellait Hiek ! Un moine irlandais avec son étrange « mur » sous le bras…

Evangélisateur sans doute modeste, il n’est pas venu ici pour parler de lui ! Il a vécu auprès de Saint Colomban, en Irlande d’abord, puis en Ecosse sur l’Ile d’Iona. C’est de là qu’il a pris la mer pour rejoindre nos côtes, marquant pour toujours  la toponymie de la Vallée du Guillec ainsi que la mémoire de ses habitants qui l’ont, depuis lors, considéré comme un « Saint ». On lui doit également la fondation de Plougoulm !

Enez Hiek (Ile de Sieck), Sant Hiek (Santec), Kill Hiek (Guillec), Moguer Hiek (Moguériec), Plou Koulm (Plougoulm)…

Hiek, un petit « Saint » dans la cour des grands !

Quand Hiek reprend vie à La Vallée des Saints (Carnoët – 22)

Il est passé par ici…

capture6

Il repassera par-là…

capture7

Mais qui est Hiek ?

Nous ne savons rien de lui si ce n’est son prénom…faisons donc parler le seul indice dont nous disposons…

Un prénom qui nous donne l’origine géographique de Hiek
Hi-ek : Hi (ou « I ») signifie « Iona » en gaëlique et -ek est un suffixe que l’on retrouve en vieux breton (-ok), en gallois (-og) et en cornique (-ek) et qui sert à former des adjectifs indiquant une origine. Hi-ek signifie donc « celui qui vient de Iona ».

L’Ile de Iona est située sur la côte occidentale de l’Ecosse… Ce n’est pas tout à fait l’Irlande encore…

511_w

Un prénom qui rattache Hiek à Saint Colomban
Notre « Guillec » d’aujourd’hui n’est rien d’autre que la « Kill Hiek » irlandaise du 6ème siècle, la « cellule » de Hiek, l’ « Eglise de l’homme qui venait de Iona » et tout cela au fond de la Baie de Sieck  !

A Iona, un autre personnage porte également le diminutif « Kill ». Il s’agit de Saint Colomban, qui fut le fondateur du Monastère d’Iona en 563 après Jésus-Christ, et que l’on l’appelle aussi « Hi Columb Kill », la « Colombe de l’Eglise de Iona »(attention, ne pas le confondre avec un autre Saint Colomban qui a fondé l’Abbaye de Luxeuil dans les Vosges, ne mélangeons pas tout !).

« Colomban est né en Irlande (nous y voilà !) dans une région sauvage du comté actuel du Donegal. Converti par Saint Patrick, il devient moine et fonde un premier monastère. Il a 25 ans ! Colomban aimait beaucoup la lecture et il allait partout en quête de manuscrits à emprunter ou à transcrire. Or un jour qu’il était en visite chez son ancien maître Firnnian, notre Saint trouva le moyen de faire une copie clandestine du psautier de l’Abbé. Finnian réclama cette reproduction mais Colomban refusa  de se dessaisir de son oeuvre… « Par Saint Copyright », Finnian en référa au Roi Diarmid qui lui donna raison. Colomban, outré, souleva une partie de l’Irlande contre Diarmid. Une violente bataille se livra à Coll-Drewny et Diarmid fut battu. Pour discuter de cette guerre, un synode se réunit alors et Colomban fut condamné à gagner au Christ autant d’âmes païennes qu’il y avait eu de chrétiens à périr à la bataille de Coll-Drewny…mais aussi à quitter l’Irlande pour toujours ! En 563, à l’âge de 42 ans, l’exilé vint donc aborder sur un îlot désert des Hébrides : Iona. L’île sacrée de Iona deviendra progressivement la capitale monastique, le foyer de la civilisation chrétienne dans le Nord de la Grande-Bretagne et le lieu choisi plus tard par les rois d’Irlande, d’Ecosse et de Norvège pour dormir leur dernier sommeil… »

D’après Sœur Cécile Grall, Fille du Saint Esprit – « Plougoulm et son histoire » – Editions « Le Livre d’Histoire »

20120523094712c

Abbaye de Iona – Ile de Iona

Un prénom enraciné dans une symbolique chrétienne
L’Ile de Iona tire son nom du Prophète Jonas, celui-là même dont la Bible nous raconte le court séjour dans le ventre d’une baleine… En hébreu, Jonas (Yonah) se traduit par « colombe ». Il y a donc une « colombe » dans le prénom de Hiek… Sans parler de celle qui viendra se poser un jour à Prat Koulm en Plougoulm !

Iona c’est Colomban et Colomban c’est Iona… Souvenir amer de Colomban d’avoir été « recraché » sur une plage écossaise loin de son Irlande natale sans doute !image1

Un prénom qui est un programme de vie à lui tout seul
En débarquant après des semaines de mer et en s’agenouillant sur la grève du Guillec, Kill Hiek dépose sur le sable l’ « Eglise de l’homme qui venait de Iona », non pas sa propre Eglise mais celle de la « Colombe de Iona », celle de Saint Colomban qui n’est jamais venu sur notre littoral (il ne sait pas ce qu’il a perdu !). Hiek est un transmetteur, un messager, un passeur, il disparaît derrière un prénom qui traduit le sens global de son existence, sa mission, sa destinée…

98499335

Au fond de la Vallée de Hiek coule le Guillec… En arrière plan, « Moguer Hiek » !

De Iona à Moguériec

Hiek est-il né en Irlande ? A t-il suivi Colomban dans son exil à Iona ? On ne le saura certainement jamais !

Il semble plus certain en revanche que Hiek ait vécu un certain temps à Iona, auprès de Saint Colomban dont il importera le culte et la vénération sur nos côtes. Mais pourquoi donc a t-il quitté Iona ?

D’abord parce qu’au 6ème siècle après Jésus-Christ tandis que les Saxons viennent chatouiller l’Ile de Bretagne, les Scots d’Irlande intensifient leur pression sur les Pictes d’Ecosse. Saint Colomban aurait-il suivi cet exode militaire, ce qui expliquerait son arrivée à Iona, au Royaume de Dalriada en Ecosse (qui pourrait croire à cette histoire de psautier…) ? Son esprit pacifique lui aurait-il valu de recevoir en cadeau des Pictes l’Ile de Iona ? En cette période troublée, la situation militaire tendue a t-elle incité Hiek à choisir  le statut de migrant ?

Ensuite et de façon plus certaine, Hiek abandonne Iona  parce que toute la spiritualité du christianisme celtique l’y invite : le moine doit quitter sa parenté pour l’exil à la recherche du lieu de sa propre résurrection ! Il rêve d’être ermite, il a une prédilection pour les îles, les lieux isolés…image6

Hiek quitte donc Iona… Il ne voyage certainement pas seul. C’est toute une communauté qui traverse la Mor Breizh (la Manche), ce ne sont pas des fuyards mais des femmes, des enfants, des chefs de clans, des chefs religieux et politiques qui se rangent derrière le « Saint » proclamé par la Vox Populi… Les embarcations sont rudimentaires : bordées d’osier et coque en peaux ! On se repère aux étoiles, on sonde les fonds marins, on fait cap au Sud-Ouest pour compenser la dérive des vents et des courants et après 24 heures de traversée de la Mor Breizh on atterri à Ouessant ou bien sur les côtes nord de la Petite Bretagne… Une bagatelle ! Il n’y a plus qu’à longer ensuite les cailloux à la recherche du plus bel écrin pour y amarrer les embarcations… Et Hiek a du goût, il choisit un petit joyau de littoral, la Baie de Sieck !

Tout au fond du Guillec, agenouillés sur le sable, tous rendent grâce pour la traversée. Hieck s’approche de la paroi rocheuse, il creuse à sa base et une source d’eau douce jaillit, voilà qu’il vient de mettre au jour « Feunteun Ar Sant » (la fontaine du Saint, certainement un bassin d’eau douce gallo-romain qui l’aura précédé…).

image2

« Feunteun Ar Sant » – Au fond du Guillec, en contrebas de Kerlavan en Sibiril…

Puis avec ses compagnons, il se met à la recherche d’un endroit isolé, en hauteur, d’où il pourra organiser la vie monastique naissante de sa toute nouvelle communauté, oratoire, réfectoire, cellules…le tout en huttes de bois et de feuilles s’il vous plaît ! Voilà qu’il vient de fonder son « Lan », « Lan Ar Sant » (« l’Ermitage du Saint »).

capture12

Cadastre Napoléonien – Archives Départementales du Finistère – A son arrivée aux confins du Guillec, Hiek construit son monastère sur les hauteurs toutes proches. La toponymie du lieu en conserve le souvenir et l’on trouve dans le Cadastre Napoléonien de 1812 la trace d’un habitat qui a survécu sur le site pendant des siècles.

img_9568

« Lan-Ar-Sant » se trouve aujourd’hui à l’intérieur de la clôture du Château de Kérouzéré, on peut encore voir le soubassement d’un corps de ferme.

A quelques centaines de mètres, c’est tout un village qui prend corps, on vit à côté des moines qui enseignent aux enfants, on y cultive la terre, on y pêche… Voilà que se structure « Kerlan » (« le village du Lan »). Mais le « Lan » occupe un espace géographique limité au Nord par « Pen An Lan » (« La tête du Lan »). Et Hiek n’a pas son pareil pour faire vivre ce morceau d’Iona en terre armoricaine, il doit tout à son maître, Colomban !

capture11

Cadastre Napoléonien – Archives Départementales du Finistère

La communauté s’agrandit et se disperse au gré des défrichages tout en avançant dans les terres. Hiek et ses compagnons évangélisent une communauté de fidèles constituée de compatriotes. Ils vont de maisons en maisons célébrer la messe sur un autel portatif. C’est la « station », encore en vigueur dans les Paroisses de l’Ouest de l’Irlande (2 fois par an entre Octobre et Noël puis durant le Carême). Voilà que vient au jour le « Plou de Coulm », Plougoulm, la Paroisse de Colomban dont la vénération cimente la communauté venue d’Irlande. De stations en stations, de communautés en communautés, Hiek traverse l’Horn au Cantel en Plougoulm où l’on se met également à vénérer Sant Hieck (Santec).

89303562

L’Ile de Siek, le fameux « Mur de Hiek » ?

Le fond de la Baie de Sieck est devenue la « Kill Hiek » (le Guillec), véritable nef de l’ « Eglise de Hiek » entre terre et mer. Hiek cherche la solitude, il l’a trouvera en son oratoire d’Enez Hiek (Ile de Sieck), dont une chapelle aujourd’hui disparue entretient la mémoire :

« Une Chapelle, de nos jours disparue, était jadis édifiée en l’honneur de Saint Hiek, dans l’Ile de Sieck à Santec, localité voisine de Saint-Pol-de-Léon (Nord Finistère) » – Dictionnaire des Saints Bretons – Tchou Editeur 1979

Une petite grève, du nom de Porz An Iliz demeure le seul indice pour situer la Chapelle de Monsieur Hiek…

Hiek meurt certainement très âgé, entouré des siens, mais dans l’humilité qu’il a recherché tout au long de sa vie… A t-il été enterré sur l’Ile de Sieck ? La Chapelle de Monsieur Hiek marquait-elle le lieu de sa sépulture ? Point de reliques, point de pèlerinages, point de basiliques, seul demeure la mémoire de Colomban, on en oublierait presque Hiek…

Il faut que je diminue pour qu’il grandisse… C’est le plus bel hommage qu’on puisse lui rendre, se souvenir de la colombe et non de l’arbre qui lui a permit de s’envoler !image3

La Colombe de Iona en Pays de Léon

En Plougoulm, tout au fond du vallon, coule une source qui irrigue une prairie verdoyante. Du plus loin que la mémoire remonte, cette enclave de paradis s’est toujours laissée appeler « Prat Kouloum » (le Pré de Colomban). On y voit encore souvent se poser une colombe, elle s’abreuve à la fontaine, se met à l’abri de la chapelle où elle semble y trouver le repos, puis elle reprend son envol vers le Nord, l’appel de Iona sans nul doute…

img_8203

Une colombe vient régulièrement planer discrètement au-dessus de la Chapelle de Prat-Coulm en Plougoulm...

Et le « Mur de Hiek » dans tout cela ?

Il est certainement le plus difficile à identifier…

Y avait-il sur la Pointe de Beg-Ar-Rest (Pointe du Château) en Moguériec une enceinte sacrée gauloise, un culte druidique que Hiek aurait combattu puis remplacé par un oratoire en pierre ? Une villa gallo-romaine fortifiée qui aurait laissé place à une chapelle ? Peut-être…

Au pied de la Pointe de Beg-Ar-rest, deux pêcheries gauloises et un four à sel témoignent d’une intense activité humaine. Demi-cercles de pierres retenant l’eau et la pêche du jour, ces pièges à poissons ne seraient-ils pas les « Murs de Hiek », le lieu de l’approvisionnement en poissons de toute une communauté ? Peut-être…

img_1966

« Ar Gored Vras », pêcherie « Hiekoise » en Moguériec ?

Assis sur le banc de Beg-Ar-Rest, face à l’Ile de Sieck, il me vient alors une idée : et si le « Mur de Hiek », cette enceinte protectrice, c’était l’Ile de Sieck, ce « mur » tracé sur fond de ciel qui protège la Baie de Sieck ? Enez Hiek, l’île de l’homme qui venait de Iona… Hiek, le « mur » protecteur de bien des générations qui lui succédèrent et s’en remirent à lui… Allez savoir !

capture17

C’est dans la pénombre que la lumière est belle…

Là, sur la Pointe de Beg-Ar-rest, se tenait An Kamparzh Koz.
Les sabots chevillés à la dune, il scrutait l’horizon, inépuisable vigie qui au lever de chaque soleil venait demander des comptes à la mer.
Le bonhomme était songeur.
La journée s’annonçait pourtant fort belle, les rougeoiements de l’aurore chatouillaient déjà les recoins de la Baie de Sieck et en attisaient les premiers reflets.

Mais ce matin-là, la brise de noroît égayait l’écume d’une saveur nouvelle, inconnue, et tout le corps d’An Kamparzh Koz en frémissait.
Les cormorans habitués à de virevoltantes chasses sauvages s’appuyaient maladroitement sur les contreforts d’Ar Benvenn en spectateurs attentifs.
Les sables de Santec n’en finissaient plus de se dérouler pour épouser l’eau salée.
Ar Roc’h Forheg agitaient ses fourches en valses sémaphoriques.

Comme deux bras accueillants, Moguériec et Sieck  enlaçaient déjà la multitude de frêles esquifs que le vieux pêcheur observait depuis un moment, coques qu’un puissant lestage de cailloux tenait en équilibre sur l’eau.
Auges de ferme, navires de granit, que seules de grandes voiles carrées lançaient en avant tandis que d’inexpérimentés godilleurs souquaient sur les avirons, attirés par les lueurs blafardes de l’antique lanterne d’An Kamparzh Koz.

Hommes, femmes et enfants, jeunes et vieillards se trouvaient à bord.
Migration salvatrice, transhumance évangélisatrice, zèle missionnaire…
Le Guillec allait venir au jour,

Ce matin-là, le soleil se levait à l’Ouest et le petit monde d’An Kamparzh Koz allait s’en trouver modifié pour toujours…

Hiek, il n’y a que des grands dans la cour des « Saints »

string(0) ""